jeudi 17 juin 2010

Calcutta

C'est par Calcutta que se sont ouvertes pour nous les portes de l'Inde. Après dix-sept mois dans le Sud-Est asiatique, nous atteignons une nouvelle région du monde. Caro y avait auparavant déjà passé quatre mois. Mais pour moi, c'était encore l'inconnu...
J'avais donc d'abord appris à connaître ce pays par les récits de Caroline. J'en explorais maintenant les sons, les odeurs, les visages... Et Calcutta s'est avérée un formidable point d'entrée et de découverte. Mais avant d'évoquer cette ville où nous avons passé environ un mois, je vais brièvement rappeler la situation générale du pays.
L'Inde compte aujourd'hui 1,1 milliards d'habitants. Mais sa croissance démographique est telle que sa population dépassera certainement celle de la Chine d'ici 20 ans. La moitié de la population a moins de 25 ans. Les progrès économiques, médicaux et hygiéniques et l'absence de politiques natalistes efficaces ont permis une explosion démographique de ce peuple qui, lors de son indépendance en 1947, comptait "seulement" 500 millions d'habitants.
Le territoire est grand (6 fois celui de la France), et bien que la moitié de sa surface soit exploitée par l'agriculture, cela permet à peine au pays de subvenir à ses propres besoins alimentaires. Les défis à venir pour cette masse d'habitants sont donc immenses. Aujourd'hui, le plus grave problème auquel est confronté l'Inde est son manque d'eau. Les nappes phréatiques se vident, les rivières s'assèchent, et pour couronner le tout, les pluies de la mousson sont de moins en moins fortes... Ce pays a évidemment de très nombreux autres défis à relever (maintien du système des castes, exploitation des femmes, corruption omniprésente...), mais il serait trop long d'approfondir ici leurs multiples dimensions. Voyageant dans ce pays depuis un mois et demi, nous réalisons à quel point l'histoire et la culture de ce pays sont vastes. Nous resterons donc modestes et nous contenterons ici de les évoquer brièvement, à mesure de notre avancée, de nos rencontres et de nos expériences.
Si la découverte de Calcutta fût pour nous comme un gigantesque flot de sensations et d'informations, la dimension de l'Inde que nous avons certainement le mieux approfondi dans cette ville est, et cela peut sembler cliché, sa pauvreté. En un an et demi à parcourir le continent asiatique, la misère offre un spectacle permanent dont il est difficile de se détourner. En tant que visiteurs, on ressent très vite la nécessité de se constituer une discipline, une éthique quant à la réaction à adopter lorsque nous sommes sollicités. A qui donner? Et quoi donner? Qu'est-ce qui peut véritablement aider les personnes qui sont dans le besoin? Jusqu'à présent, à part offrir des repas, des crayons ou des savons, notre contribution n'était pas particulièrement active. Et après un si long périple, la nécessité d'apporter quelque chose d'utile et constructif s'est logiquement fait ressentir. Nous avions auparavant essayé de faire du bénévolat auprès des enfants Birmans des camps de réfugiés de Mae Sot en Thaïlande, mais nous arrivions en plein milieu des vacances scolaires et nos tentatives furent vaines.
Une fois en Inde, arrimés à la ville rendue célèbre par Mère Thérésa et le livre "La cité de la joie", nous avons décidé de nous engager plus sérieusement. Parmi les organisations présentes sur place, il y a donc les célèbres dispensaires des soeurs de la charité, fondés par Mère Thérésa, auprès desquels des milliers d'Occidentaux viennent chaque année apporter leur aide. Toutefois la prégnance de la foi catholique et les ambitions prosélytes de cette institution nous ont un peu refroidi. Nous avons donc préféré nous tourner vers des organismes de la société civile. C'est l'ONG Sanlaap qui nous aura ouvert ses portes, et permis de venir y enseigner l'Anglais "à la Française". L'association a pour vocation de sortir des adolescentes de la prostitution imposée par des parents sans scrupule. Les cours se donnaient dans un foyer qui regroupait une centaine de jeunes filles et qui était protégé par de hauts murs, des fils barbelés et quelques gardes, contre la tentation de ceux qui voudraient récupérer leur gagne-pain. Malheureusement, avec le peu de temps que nous avions à disposition, et les lenteurs de la bureaucratie indienne, nos interventions furent plutôt brèves. C'est surtout aux côtés d'une jeune infirmière française rencontrée dans notre quartier et qui vient en aide aux gens de la rue, que nous avons pu donner de notre temps en prodiguant des soins de première nécessité à certains démunis. A l'aide de quelques photos qu'on a mis en fin d'article, on évoquera à nouveau cette expérience. Mais au préalable, laissez-nous vous présenter la "cité de la Joie", ses gens et ses charmes auxquels nous avons tous deux succombé. On s'excuse que ces images ne puissent exprimer la puanteur et le vacarme de la rue. On espère malgré tout que vous apprécierez.







Capitale de l'Etat du Bengal Occidental, Calcutta (rebaptisée depuis Kolkata) compte officiellement 14 millions d'habitants. On n'ose trop savoir combien de personnes s'y entassent en réalité.



Chaque coin de rue, chaque préau ou lampadaire est utilisé pour y installer sa demeure. Même notre ami Charlot met la main à la patte pour veiller sur la tranquilité des gens.



Mais ce n'est pas comme si la rue était un immense squat où chaque arrivant pouvait décider de son lieu d'installation et y poser ses affaires. Dans chaque quartier, chaque rue de la ville, des mafias se partagent le magot de l'exploitation de la misère en distribuant des titres de location imaginaires à ceux qui n'ont pas de toit. Certains carrés de trottoirs ou dessous de porches sont occupés par des familles depuis des dizaines d'année, et se transmettent de père en fils. Cette situation n'apporte cependant aucune réelle protection. Les caïds sont libres d'acroître les prix du marché et l'Etat peut à tout moment ordonner le "nettoyage" des rues. En se promenant dans les rues de Calcutta, le voyageur entre donc de plein-pied (c'est le cas de le dire) dans le quotidien et l'intimité des population démunies de la ville.



Portraits d'enfants de la rue















Tordons le cou aux idées reçues! Les enfants de la rue ne sont pas tous nus!



Une des plus grandes richesses culinaires de l'Inde: le Masala Chaï, qui est en quelque sorte un thé Anglais à l'Indienne. Eau, lait, sucre, thé noir acompagnés d'une mixture d'épices propre à chacune des milliers d'échoppes qu'on trouve dans les coins de rue.



Si comme moi, vous vous êtes toujours demandé d'où pouvaient venir ces boîtes en aluminium dans lesquels les bouchers de chez nous servent leurs hachis parmentier "faits maison", ne cherchez plus. Ils sont cinq frères, et se partagent l'ensemble de la production mondiale de boîtes de hachis-parmentier.



L'Inde est le lieu idéal pour les photographes souhaitant faire des portraits. Les habitants sollicitent en permanence le voyageur muni d'un appareil afin que celui-ci les passe à la postérité. Sur la gauche, on remarque un tag du parti communiste; il ne s'agit pas de l'oeuvre de quelques jeunes étudiants utopistes, mais bien du travail de propagande du parti Indien de la faucille et du marteau, qui dirige la ville depuis plus de 30 ans.



Collection de boîtes de peinture vides. Ici, la nécessité et la pauvreté font du recyclage un marché bien plus efficace que par chez nous. Montre en main, après avoir sciemment laissé traîner une bouteille d'eau vide dans le caniveau, il n'a pas fallu moins de 20 secondes pour que celle-ci soit ramassée par un enfant.



Recyclage de voiture sur carriole, cette fois-ci. C'est confortable, ça ne pollue pas, et on peut y faire rentrer toute la famille: que demander de plus?



La ville mettant à disposition de nombreux points d'eau, les trottoirs deviennent inévitablement des salles de bain publics où chacun est libre de se mêler. Mais on n'a pas eu le courage d'essayer.



Sport national, le cricket est un immense phénomène sportif. Pratiqué autrefois par les plus riches Anglais, il est ici devenu un sport ultra-populaire. Les joueurs stars profitent d'une médiatisation et de revenus presque supérieurs à nos footballeurs. Il n'en faut donc pas moins pour attiser l'admiration et la ferveur des jeunes garçons. Comme le basket aux Etats-Unis, c'est en effet un des seuls vecteurs d'élévation sociale envisageables à ceux qui rêvent de s'extraire de la misère.



Autre résidu de la conolisation Anglaise, le jeu de la carambole fait également fureur dans les bars et les échoppes. Il s'agit de palets qu'on envoie dans les trous à l'aide de l'index à la manière du jeu de billes



Terrasse en plein air d'un genre tout à fait Indien, qui donne enfin un petit aperçu sur le monde caché des femmes.



Barbiers de rue



La balance à poids est encore très populaire chez les marchands de fruits et légumes.







Rue-marché où chacun est libre de venir se lancer dans le business du "fruit and veg' market". Selon les moyens des marchands, les étals peuvent se composer de deux patates et d'une carotte ou bien d'immenses montagnes de mangues et de citrouilles.



On n'a toutefois pas osé photographier ceux qui n'avaient qu'un légume à vendre, tant ils étaient maigres et pauvres. On a préféré prendre les "riches", plus fiers et souriants (désolé pour l'humour, mais dans ce genre de lieu, ça devient vital).







Chenille humaine transportant les vivres des camions vers les marchés. Pour ce faire, mieux vaut s'entourer de gens faisant la même taille.



Et pendant la pause: évidemment, la pose.



A l'intérieur du marché, les marchands mettent un film plastique rouge sur leur lampe. Ce qui ne manque pas de donner un caractère érotique à ces beaux oignons. Il n'y a qu'à voir le doux sourire des vendeurs pour se laisser convaincre de tâter.




Mais ne vous inquiétez pas, il y en a pour tout le monde. A ceux qui voudraient goûter à d'autres saveurs, ces charmants "Blue Boys" répondent présents... Non, en fait il ne faut pas se faire de fausses idées lorsqu'on voit deux Indiens se faire des gestes affectueux, comme se masser ou se prendre la main. Il n'y a aucune ambiguïté, ce ne sont que des signes d'amitié, dans ce pays où l'homosexualité est totalement reniée.




On découvre ici les patates violettes. Entre le rouge et le bleu... mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire?



La pauvreté prend plusieurs visages et certains nous marquent plus que d'autres: celui de ces jeunes espiègles des rues comme on en croise tant, qui parviennent à faire surgir une force de caractère et un désir de vivre épatants lorsqu'on sait qu'ils émergent d'une existence chaotique faite de galère et de défis permanents.



Les fameux chapatis, galettes de pain qu'on mange à toutes les sauces. Alors quand on en a assez du riz (si, si, ça arrive!), voilà vers quoi on se tourne.







Un boucher et ses généreuses carcasses de vaches. Sacrilège pour les hindous! On ne peut être que dans le quartier des musulmans, qui vouent à la vache un culte un peu différent.



Nous sommes invités à assister à un spectacle de fin d'année d'une école gérée par une des premières ONG avec laquelle on est entré en contact. De ce point de vue, on pourrait croire qu'il s'agit d'une école de filles. Mais c'est plutôt que les garçons se sont appropriés les meilleures places. Y'en a qui ont bien saisi les règles du jeu.



Mouroir de mère Théresa, où les plus pauvres viennent finir leur vie. Des bénévoles nous ont raconté qu'avec les religieuses à leur chevet, les malades ne savent plus qui prier, une fois l'heure fatidique venue, et finissent par s'en remettre à tous les Dieux qu'ils connaissent (chrétiens, musulmans et hindous).



Petit quartier de sans-abris, installés au pied d'un immeuble bourgeois. C'est plutôt ça la mixité sociale qu'on devrait mettre en place par chez nous.



Enfants jouant près d'un templs dédié au dieu Shiva.



Autre vestige de la colonisation: les taxis. Celui-ci est bleu, mais la plupart sont jaunes ou blancs.



Les tramways aussi sont de la fête. Mais ce qui fait vraiment la particularité de Calcutta, ce sont les rickshaws tirés par les hommes. Bien qu'interdits, ils sont encore très présent dans la capitale Bengale, et symbolisent bien l'immense inégalité des classes sociales qui préfigure ce pays.



Une photo d'enfants, parmi des centaines d'autres qu'on a bien été "forcés" de prendre.



Atelier de polissage de l'argent et du cuivre.



Vendeur ambulant de litchies







Cour intérieure d'un vieil immeuble Britannique, dont les fissures autorisent l'émancipation d'une timide végétation. Le mélange architectural des genres entre l'Inde et l'ancien Empire est en effet fréquent dans cette ville qui fût longtemps la capitale coloniale.







Petit temple de rue comme on en trouve à peu près partout, avec ses Brahmanes se languissant de l'attente des fildèles donateurs.



Autre petit temple, dédié cette fois à Shiva. La fréquentation dépend des heures de la journée, mais aussi des résultats obtenus par les Dieux pour répondre aux souhaits de leurs dévots. C'est un peu comme la Bourse, quoi!



L'influence de l'Angleterre se fait plus évidente dans le centre-ville qu'ailleurs...



...ici, c'est l'Inde dans toute sa splendeur.



Notre arrivée à Calcutta correspondait avec les élections municipales. Ce qui fût pour nous une occasion fort instructive de voir "la plus grande démocratie au monde" en marche. La multitude de drapeaux, de peintures murales et de meetings de quartier déjantés en ont fait la campagne politique la plus divertissante à laquelle il nous a été donné d'assister.



Aux couleurs de l'Inde, le Parti du Congrès (principal parti du pays) utilisa tous les moyens à sa disposition pour reconquérir du terrain face à son adversaire, au pouvoir à Calcutta depuis plus de trente ans, le Parti communiste Indien.



Au-dessus du Parti du Congrès, comme le rappelle cette peinture de propagande, plane l'ombre de la Dame de fer de l'Inde, Indira Gandhi. Fille de Nehru, mais n'ayant aucun lien de parenté avec le Mahatmah Gandhi, elle fût Premier Ministre quinze ans durant de 1966 à 1977 puis de 1980 à son assassinat en 1984. L'évocation de son souvenir avec les Indiens est parfois délicate tant elle évoque pour certains des souvenir amers. Et bien que ses enfants et petits enfants ont depuis parfaitement assuré la pérennité de la dynastie, sa figure est encore dans de nombreux Etats du pays un obstacle à l'hégémonie des puissants dirigeants du Parti.







Ecrivains de rue.



Plantées dans les coins de rue par les commerçants, des cordes incandescentes permettent aux passants de s'allumer leur beedi, cigarette indienne enroulée dans une feuille d'eucalyptus.



Ca donne envie d'aller se confier!











Point commun avec l'Asie du Sud-Est, les stands de jus de canne sont omniprésents. Il faut seulement être plus attentif à l'hygiène.



Le grand pont de Calcutta sert d'abri à un sympathique marché aux fleurs.



Les fleurs font partie des offrandes les plus appréciées par les Dieux. Il convient donc de leur faire don de colliers qui soient à la hauteur de leurs effigies.























Abandonné par son maharadjah, ce vieux palais en bordure de rivière est aujourd'hui envahi par la végétation et squatté par des commerçants sans abris.



Comme on l'avait évoqué au début de l'article, on ajoute quelques photos faites lors de nos interventions auprès des gens de la rue. C'est donc autour du marché central de Calcutta que sous la direction d'une jeune infirmière française, nous avons tenté d'apporter des soins d'urgence à ceux qui en exprimaient le besoin. Etant donné le temps nécessaire à chaque traitement que les amateurs que nous sommes offrions, notre "clientèle" ne fût pas particulièrement vaste. Parmi eux, on retiendra notamment ce groupe de trois familles vivant en "colocation" sur quelques bouts de toile et de cartons le long de la façade Est du marché. Vivant de la mendicité et de la revente de petites doses d'héroïne, ces familles occupent un lieu de passage assez convoité et payent pour cette raison un loyer relativement élevé. Les enfants ne sont donc pas ménagés par leurs parents et doivent user de toutes leurs ressources pour susciter la pitié auprès des passants. La puanteur et la saleté faisant partie de leurs compétences professionnelles, il nous fallut naturellement apprendre à en faire abstraction. On pouvait toujours se satisfaire du fait que les parents n'aient ajouté quelque autre infirmité à leurs "talents".




Des conditions de vie qui n'empêchent pas pour autant ces enfants d'offrir des sourires lumineux (cette jeune fille était pourtant atteinte de la malaria).



Déjà bien réduit, leur espace de vie se modulait au gré de la bonne volonté des conducteurs se garant dans le parking attenant.



















De l'autre côté du marché, on retrouvait des "patients" d'un autre genre. Encore davantage méprisés par les Indiens que les mendiants traditionnels, les héroïnomanes n'en étaient pas moins des gens vraiment sympathiques. Leurs parcours de vie étaient souvent édifiants. Mais leur état de santé ne présageait pas d'un destin très heureux. Le manque d'hygiène combiné à la réduction de leur système immunitaire provoquée par la prise d'opiacés, généraient en de multiples parties de leurs corps des plaies béantes qu'il fallait régulièrement traiter. La photo ci-dessus vous épargne les aspects gores, mais laisse néanmoins imaginer la taille des cratères qu'il fallait quotidiennement nettoyer de la crasse, du pus, et parfois même de quelques petits vers.



Ayant peu photographié cet épisode, nous rajoutons ici deux photos "noir et blanc" prises par notre ami Ben. Ici, le doyen de cette petite bande de junkies. Il ne comate pas, il ne fait qu'attendre qu'on lui pose un sparadrap!



Et pour finir, le chouette portrait d'un tireur de rickshaws... l'expression de ce regard qui comme celui des dizaines d'autres tireurs que nous avons croisés, restera encore longtemps gravé dans nos mémoires.