Il est bon de s’ancrer quelque part, d’éprouver à quelle vitesse l’homme est capable d’emmagasiner des informations pour s’adapter à un environnement où tous les repères sont perturbés. A la première phase d’excitation et d’hyperactivité, a succédé une phase de stabilisation, pendant laquelle un rythme plutôt routinier s’est installé. Et c’était plutôt satisfaisant, de ne plus être spectateur d’un monde en mouvement, mais d’en faire pleinement partie.
Lors de l’atterrissage en plein jour a Saïgon, je me souviens de ce sentiment d’effroi qui m'avait submergé en voyant ce champ interminable de bâtisses entassées de manière anarchique et s’étendant à perte de vue. « Comment allons-nous vivre dans ce monstre urbain ?!! ». Et puis, carte en main, à l’aide de nos petits vélos achetés peu de temps après notre arrivée, Thibaut et moi nous sommes plongés dans cet univers, traversant tant les grands boulevards hérités de la planification urbaine coloniale, que les ruelles tortueuses où se révèlent des ambiances à cheval entre l’esprit urbain et rural. Parfois, ce sentiment d’appartenir à un tout très agité envoûte, d’autre fois, ça use. En chemin vers l’université ou vers le boulot, lorsqu'on se trouve au milieu des pots d’échappements des motos importées du Japon, que le soleil cogne fort, qu’on atteint les 38-40 degrés et que notre corps est déjà trop humide, que les klaxons jouent de concert et percent le tympan, il nous arrive de saturer. L'envie est alors grande de nous réfugier dans notre petite chambre ou de partir en campagne pour se ressourcer. Où qu’on aille dans cette ville, on doit composer avec cette circulation folle. Les distances ne sont pas exagérément longues, mais la densité de la circulation nous maintient toujours entre 5 et 20km/h.
La période de la journée que je préfère, c’est en début de soirée, lorsque l’obscurité nous permet de respirer un air plus doux, que les rues sont moins envahies par les véhicules, et que les gens semblent prendre le temps. A ce moment là, il est bon de se balader dans les rues de notre quartier. C’est le moment où les gens s’arrêtent enfin de courir partout. Sur les trottoirs, les échoppes de la journée se retirent pour laisser place aux mini-tables et mini-tabourets qui ne font pas de bien aux fesses au départ, mais auxquels on se fait très vite. Amis, familles, jeunes tourtereaux (le Vietnam est très jeune, beaucoup de moins de 30 ans...) s’entassent, cohabitent et forment une agitation parfois enivrante. La frontière entre l’espace privé et public est très poreuse. De notre petite table où l'on boit un « sinh to » (jus de fruit frais mixé avec de glace et du lait sucré) avec des amis, j’observe, en face, une famille réunie dans sa pièce de vie principale, traditionnellement ouverte sur la rue. Le petit écran qui trône au coeur de cet espace contraste avec le reste de la pièce dont la nudité, à l’image de nombreuses autres habitations, donne cette impression que les gens vivent ici de manière transitoire. L’autel des ancêtres est le deuxième élément central de la pièce, posé à même le sol ou suspendu au mur. Sa présence rappelle aux familles leur enracinement dans une temporalité plus longue, lorsque tout dans cette ville les entraîne dans un mouvement effréné.
Je sirotais donc mon jus de fruit en regardant cette famille. La télé est allumée, comme toujours. Certains la regardent, d’autres l’écoutent d’un air distrait. La grand-mère fait des nattes à sa petite-fille qui, à moitié couchée sur le carrelage, suçote un bonbon : une drôle de gélatine extraite d’une algue, mélangée à des agents chimiques qui lui donnent un goût de fruit, et dont les enfants ici raffolent. La mère, à côté, à la tête du petit commerce familial, fait ses comptes après une longue journée de labeur (qui a souvent commencé à 5 heures du matin). Devant la maison, au milieu d’autres hommes, le père est accroupi (à la façon asiatique), les yeux rivés au sol. Lui et ses acolytes jouent aux cartes et misent de l’argent pendant que d’autres jouent aux échecs chinois. Certains se renflouent les poches, d’autres se les vident. Ce jeu, très répandu, est interdit par les autorités mais, comme beaucoup d’autres choses ici, survit aux contrôles (Hormis lorsqu’il s’agit de règles tacites intériorisées et transmises au sein des sphères familiales, les vietnamiens demeurent étonnamment rebelles aux contraintes extérieures et officielles, à toute forme de législation ayant la prétention de vouloir règlementer leur vie. Sans vouloir aucunement idéaliser la société vietnamienne et diaboliser la nôtre, ces observations nous rappellent à quel point, à l’inverse, les hommes chez nous sont dociles et avec quelle vitesse de nouvelles règles extérieures pénètrent notre quotidien, quand bien même certains groupes, au départ, se mobilisent parfois en résistance.). Les bières accompagnent généralement le jeu. Ils en boivent 2, ou 3, ou plus, souvent trop. Dehors, les autres enfants chahutent, se courent après, font des slaloms entre les tables du café où on se trouve et se lancent, par coups de pieds très habiles, une sorte de "volant" (poids auquel est accrochée une plume) avec certaines choregraphies proches de l'art martial. Il s'agit d'un jeu national, le Dau Cau, auquel petits et grands (enfin…plutôt les garçons) jouent en ville comme en campagne. Je m’y suis déjà frottée, et il s’avère que je suis une piètre adversaire ! Tiens, un vendeur ambulant sur son vélo-remorque nous accoste pour nous vendre ses CD, des contre-façons comme ils savent si bien les faire ici. Mais attention ! Que de la variet' vietnamienne, SVP ! De nombreux autres vendeurs ambulants viendront durant la soirée vendre aux gens tout et rien, jusque tard dans la nuit. Beaucoup de mères, notamment, dont les attributs trahissent une grande pauvreté, circulent dans les rues avec leur bébé dans les bras et tentent de vendre des paquets de mouchoirs et des chewing-gums, leur seule marchandise…vers 11h-minuit, les gosses se sont souvent écroulés sur l’épaule de leur mère, bercés par les sons de la rue. D’autres moins chanceux, lorsqu’ils ont l’âge de tenir debout, tiennent aussi des paquets dans leurs menottes et s’efforcent de vendre ce qu’ils peuvent. On voit que la fatigue leur piquotte les yeux.
Bon je m’arrête là, mais ces scènes de vie sont quotidiennes. C’est aussi l’occasion de discuter avec les uns et les autres. Maintenant que Thibaut et moi parlons un peu mieux vietnamien, on parvient à mener un minimum de conversation. Mais ça dépend encore des personnes avec qui on parle, de leur patience, de leur accent (si différent d’une personne ou d’une région a l’autre)... mais les vietnamiens sont en général très avenants et curieux. Alors la rencontre est facile.
Parfois notre manque de maîtrise de la langue vietnamienne nous empêche de discuter comme on le souhaiterait avec tous types de gens. Les discussions un peu plus profondes ne sont possibles qu’avec ceux qui composent l’élite économique et culturelle du pays et qui, du fait de leurs études ou de leurs fréquentes relations professionnelles avec les compagnies étrangères, parlent l’anglais ou le français. C’est très intéressant, mais ce n’est qu’une minorité qui nous offre son regard de la société, sans doute très éloigné de celui des autres milieux. Par contre, cette « élite » se définit au sens pragmatique du terme : qualifiés et diplômés de la nation, ils mettront souvent leurs compétences au seul service des investisseurs étrangers ou des administrations publiques, dans un but strictement productif. Ils ont peu été éduqués à la réflexion critique. Dès qu’on s’aventure sur des questions un peu sociales et politiques, ils se désintéressent ou ne savent pas quoi dire. Pas seulement par censure. Vraiment parce qu’ils n’y ont pas été habitués. Et ça je m’en rends d’autant plus compte que j’ai enseigné le français à cette fameuse élite. Il y aurait encore tant de choses à raconter, mais maintenant je vous invite a decouvrir quelques pans de la ville a travers quelques photos...
Bébé Noël! (21.12.08)
Victoire de l'équipe de football vietnamienne sur les thaïlandais... moment inédit qui sera célébré dans les grands boulevards jusque tard dans la nuit... ...une euphorie indescriptible... cela n'a rien d'étonnant lorsqu'on sait que les vietnamiens sont de piètres joueurs et que les matchs remportés par l'équipe nationale se comptent sur les doigts de la main... mis à part lors de ces jours d'exception, ce n'est certainement pas dans le foot que les vietnamiens puisent leur ferveur patriotique!
Quand on veut se faire entendre, on trouve les moyens! Sifflet ingénieusement confectionné par les enfants au moyen de canettes de bière et de scotch......toute le monde sort son drapeau et ses casseroles: une cacophonie ininterrompue envahit le centre ville...
Marché de Cholon, quartier chinois. Une véritable caverne d'Ali Baba!
Nouvel an passé avec des membres de la communaute nigériane, venue tenter sa chance dans le nouvel "eldorado" sud-est asiatique. C'est notamment le cas pour ceux recrutés dans les équipes professionnelles de football. Malheureusement, après quelques années de bons et loyaux services, l'issue inévitable est la porte. N'ayant pas les moyens financiers de rentrer dans leur pays natal, ces nigérians basculent souvent dans la marginalité et la grande pauvreté. L'insertion de ces immigrés est d'autant moins évidente qu'ils portent ce lourd stigmate d'être noir. Dans la société vietnamienne, avoir une peau blanche répond en effet à un idéal esthétique et représente un marqueur social fort. La peau claire est en effet assimilée à une haute condition sociale préservant des travaux harassants executés en plein soleil.
Pour le Têt, une amie vietnamienne nous a généreusement invités a nous joindre à elle pour les festivités. Ce début d'année (selon le calendrier lunaire) est très ritualisé. Chacun des 4 premiers jours correspond a une pratique bien définie. Ici, 1er jour du Tet, dédié à la famille. Nous avons donc arpenté toute une province pour trinquer avec chacun des membres de la famille élargie, dont quelques-uns figurent sur cette photo.
...j'avoue, j'ai craqué pour la petite dernière de la famille...!
Jeu très populaire et typique du Têt. Muni d'un bâton, on doit briser un objet en terre cuite suspendu quelques mètres devant soi, les yeux bandés. C'est au public, toujours très amusé, de guider la personne jusqu'à sa cible. J'ai eu l'occasion d'essayer à plusieurs reprises, je dois dire que j'ai fait un sans faute!
La légende veut que la cigogne ait aidé la tortue à passer l'autre rive de la rivière au moment des crues... symbole de solidarité et de bienveillance, elle trône ici, dans un très ancien temple chinois.
Le son des cloches résonne à chaque coup porté par ce bonze, pour introduire et conclure les temps de prières.
Ce moine bouddhiste à la voix chaude, chante des incantations lancinantes qui semblent installer Thibaut dans un état contemplatif.
Les rues bordant la pagode semblent elles aussi épargnées par l'agitation de la ville. Pagodes et temples deviennent pour nous des lieux privilégiés lorsque le désordre urbain nous submerge un peu trop.
Un accueil en bonne et due forme pour Eve, venue nous rejoindre pour 3 semaines mémorables! Encore merci à toi, ma belle! De gauche à droite: FX (mon cousin en stage à Saigon), Quang, Caro, Eve, Trung, Gaëtan (breton également exilé!) et Thibaut. 19.03.2009.
Eve goûtant à la "Bia Hoi", bière en pression
L'homme sur le porte-bagage: une situation qui fait bien rire les Vietnamiens.
Panneau publicitaire pour une salle de musculation.